09/02/2013

La tâche (2000), de Philip Roth

"L’été où Coleman me mit dans la confidence fut celui où, hasard opportun, on éventa le secret de Bill Clinton jusque dans ses moindres détails mortifiants, plus vrais que nature, l’effet-vérité et la mortification dus l’un comme l’autre à l’âpre précision des faits. Une saison pareille, on n’en avait pas eu depuis la découverte fortuite des photos de Miss Amérique dans un vieux numéro de Penthouse : ces clichés du plus bel effet, qui la montraient nue à quatre pattes et sur le dos, avaient contraint la jeune femme honteuse et confuse à abdiquer pour devenir par la suite une pop star au succès colossal. En Nouvelle-Angleterre, l’été 1998 s’est distingué par une tiédeur, un ensoleillement délicieux, et au base-ball par un combat de titans entre un dieu du home-run blanc et un dieu du home-run café-au-lait. Mais en Amérique en général, ce fut l’été du marathon de la tartuferie : le spectre du terrorisme, qui avait remplacé celui du communisme comme menace majeure pour la sécurité du pays, laissait la place au spectre de la turlutte ; un président des États-Unis, quadragénaire plein de verdeur, et une de ses employées, une drôlesse de vingt et un ans folle de lui, batifolant dans le bureau ovale comme deux ados dans un parking, avaient rallumé la plus vieille passion fédératrice de l’Amérique, son plaisir le plus dangereux peut-être, le plus subversif historiquement : le vertige de l’indignation hypocrite. Au Congrès, dans la presse, à la radio et à la télé, les enfoirés à la vertu majuscule donnaient à qui mieux mieux des leçons de morale, dans leur soif d’accuser, de censurer et de punir, tous possédés par cette frénésie calculée que Hawthorne (dans les années 1860, j’aurais été pour ainsi dire son voisin) avait déjà stigmatisée à l’aube de notre pays comme le « génie de la persécution » ; tous mouraient d’envie d’accomplir les rites de purification astringents – après quoi le sénateur Lieberman pourraient enfin regarder la télévision en toute quiétude avec sa petite fille de dix ans. Non, si vous n’avez pas connu 1998, vous ne savez pas ce que c’est que l’indignation vertueuse. L’éditorialiste William F. Buckley, conservateur, écrit dans ses colonnes : « Du temps, d’Abélard, on savait empêcher le coupable de recommencer », insinuant par là que pour prévenir les répréhensibles agissements du président (ce qu’il appelait ailleurs son « incontinence charnelle ») la destitution, punition anodine, n’était pas le meilleur remède : il aurait mieux valu appliquer le châtiment infligé au XVIIe siècle par le couteau des sbires du chanoine Fulbert au chanoine Abélard, son collègue coupable de lui avoir ravi sa nièce, la vierge Héloïse, et de l’avoir épousé. La nostalgie nourrie par Buckley pour la castration, juste rétribution de l’incontinence, ne s’assortissait pas, telle la fatwa lancée par l’ayatollah Khomeiny contre Salman Rushdie, d’une gratification financière propre à susciter les bonnes volontés. Elle était néanmoins dictée, cette nostalgie, par un esprit tout aussi impitoyable, et des idéaux non moins fanatiques."

Adapté au cinéma par Robert Benton en 2003, La Couleur du mensonge, avec Anthony Hopkins et Nicole Kidman.

Purge (2008), de Sofi Oksanen

« (…) dans la terre du désespoir poussent de mauvaises fleurs. »

 

« Elle avait attendu quelqu’un, exactement comme elle avait attendu alors dans cette cave où elle s’était rétrécie en souris dans un coin de la pièce, en mouche dans la lampe. Et une fois sortie de cette cave, elle avait attendu quelqu’un. Quelqu’un qui ferait quelque chose qui l’aiderait ou qui enlèverait au moins une partie de ce qui s’était passé dans cette cave. Qui lui caresserait les cheveux et qui dirait : « Ce n’était pas ta faute. ». Et qui dirait encore : « Plus jamais. ». Qui promettrait que « plus jamais », quoi qu’il arrive. Et en même temps qu’Aliide se rendait compte de ce qui s’était passé, elle comprenait que ce quelqu’un ne viendrait jamais. Que personne ne viendrait jamais dire ces mots, ne les penserait même ni jamais ne prendrait soin d’elle, plus jamais. Qu’elle, Aliide, était la seule qui puisse prendre soin d’elle. Personne d’autre ne viendrait jamais faire cela pour elle (…).»