02/05/2014

Diamanda Galas, Guerrière et Gorgone, par Catherine Mavrikakis (2014)

À travers le nouvel essai de Catherine Mavrikakis, je découvre Diamanda Galas et une part de moi-même:
"L'esthétique et la politique de Diamanda Galas, la théâtralisation tragique [...] se fondent sur les excès du corps, de l'esprit et sur la manifestation du sentiment de base de tout acte social subversif, c'est-à-dire authentique. Le pathos devient une éthique du vivre-ensemble, puisqu'il est la source de l'empathie et du sentiment de l'existence de l'autre. Galas se donne pour tâche d'être poreuse, traversée. Elle n'est que passage. Elle ne peut être saisie, ramenée à une définition unique. Sa voix, sa présence est toujours multiple, fuyante. [...] En Galas, s'incarnent des images d'un féminin inassimilable, indomptable, fait de douleurs, de haine et plein d'un chaos originel, violent. En elle, une tribu, tous les membres de la famille crient... Mais certes pas à l'unisson."

27/03/2014

Indiana (1832) de George Sand

Mon premier George Sand... et j'ai attaqué par Indiana, une petite brique, que j'ai dévoré.  Je ne résumerai pas l'intrigue, vous pouvez trouver ça sur le web facilement si cela vous chante; je n'aime pas toujours résumer les livres que je lis, je préfère en dire ce que je veux, comme cela me vient.  En général lorsque qu'on me conseille un livre, je ne veux pas savoir l'histoire, mais plutôt le(s) thème(s) abordé(s), ou une idée générale, un survol, les grandes lignes...  Si une personne que j'apprécie est pleine d'engouement pour un livre, il y a des chances que je finisse par le lire aussi, si je fais confiance à ses goûts bien sûr...  C'est comme demander conseil à un animateur ou un bédéiste qu'on "méprise" pour regarder son propre travail, ça n'a pas de sens... "mais pourquoi suis-je allée lui demander son avis à celui-là"... (n'allez pas demander des conseils à ceux qui n'y connaissent rien, ou ceux qui font des choses que vous ne trouvez pas terrible, vous allez vous tirer une balle dans le pied).  Mais là je m'égare, rien à voir avec lire des livres et en parler. J'y retourne.

C'est une histoire d'amour, ça c'est la chose à savoir.  Étrangement, l'histoire ne m'a pas vraiment intéressée, pourtant j'aime les histoire d'amour et le romantisme, mais là, avec Indiana, le dénouement m'était complètement égal.  Je dirais même que je n'avais pas la patience de m'y pencher.  Ce que j'ai aimé, dans ce livre, c'est le ton.  Un ton ironique, aigu, où le narrateur donne son point de vue sur les personnages, leurs actions, leurs mœurs, leurs émotions et leur place dans le monde.  George Sand nous offre un regard sur la société bourgeoise de son époque.  Elle met en avant la catastrophe des mariages arrangés, le malheur qui en découle (pour la femme comme pour le mari) et les erreurs auxquelles ils peuvent mener, mais aussi la naïveté des jeunes femmes mariées trop tôt, la condition des femmes, la dureté de jugement vis à vis d'autrui et l'hypocrisie.  Le ton narquois avec lequel elle décrit tout ce beau monde avec leurs beaux sentiments pour l'amour, la politique, la famille et l'écriture est absolument délicieux.  C'est ce ton qui m'a tenue en haleine.  J'avais l'impression de rentrer dans un monde par une porte secrète et de rire de l'idiotie humaine.  J'étais au théâtre des délires.  Je pensais parfois à Flaubert, parfois au lyrisme, parfois au romantisme.  L'écriture est superbe, bien que j'avoue ne pas avoir été capable de lire les pages où l'amour passionné d'un personnage envers un autre était énoncé.  C'était bien trop praliné pour moi, et je pense que cet aspect long et exalté dans les "passages d'amour" était voulu par l'auteure.  Je crois qu'elle désirait se moquer d'une certaine façon d'aimer.  Il y un passage où le narrateur dit quelque chose du genre : les hommes qui parlent trop bien d'amour aiment mal.  Je n'ai pas la phrase exacte... mais lorsque j'ai lu ça, j'ai bien ri et pensé "tu ne crois pas bien dire!".  Sachant qu'un des personnages est manipulateur, égoïste et intéressé, lire son étalage d'amour m'était tout bonnement insupportable.  Et la fin m'a surprise. Évidemment je sentais quelque chose allait enfin être révélé, mais la fin de tout cela... non. Donc, un roman piquant!

Un passage qui m'a fait vibrer de plaisir:
"Raymon s'était donc placé sur cette espèce de ligne mitoyenne entre l'abus du pouvoir et celui de la licence, terrain mouvant où les gens de bien cherchaient encore, mais en vain, un abri contre la tourmente qui se préparait.  A lui, comme à bien d'autres cerveaux sans expérience, le rôle de publiciste consciencieux semblait possible encore.  Erreur dans un temps où l'on feignait de déférer à la voix de la raison que pour l'étouffer plus sûrement de part et d'autre.  Homme sans passions politiques, Raymon croyait être sans intérêts, et il se trompait lui-même; car la société, organisée comme elle l'était alors était favorable et avantageuse; elle ne pouvait pas être dérangée sans que la somme de son bien-être fut diminuée, et c'est un merveilleux enseignement à la modération que cette parfaite quiétude de situation qui se communique à la pensée.  Quel homme est assez ingrat envers la Providence pour lui reprocher le malheur des autres, si pour lui elle n'a eu que des sourires et des bienfaits?  Comment eût-on pu persuader à ces jeunes appuis de la monarchie constitutionnelle que la constitution était déjà vieille, qu'elle pesait sur le corps social et le fatiguait, lorsqu'ils la trouvaient légère pour eux-même et n'en recueillaient que les avantages?  Qui croit à la misère qu'il ne connaît pas?"

06/03/2014

RU (2009) de Kim Thuy

Premier roman, à tonalité autobiographique, de Kim Thuy. 

Des anecdotes de l'immigration et de la vie d'une jeune vietnamienne au Québec, à la fin des années 70.

Une écriture sèche et directe, amenée par fragments de mémoire. Pas de fioritures. La poésie est dans le rythme, entre les lignes. Nous lisons ce récit comme si nous suivions un témoignage rapporté d'une personne à une connaissance. Je m'imaginais l'auteure enregistrant ses souvenirs dans un dictaphone... L'écriture est dénuée de séduction et porte pourtant un certain charme, peut-être à cause de sa crudité et parfois même de sa douceur. 

Ru, dans mes lectures, à été comme une boisson au gingembre après une bonne part de tarte aux poires.

Petit extrait:
"Nous allions donc à la même école, comme des jumelles, assises sur le même banc dans la même classe. Parfois, ma cousine remplaçait notre maîtresse pendant son absence et se retrouvait debout sur le bureau de celle-ci, brandissant sa grande règle. elle avait cinq ou six ans, comme nous tous, mais n'étais aucunement intimidée par cette règle parce que, contrairement à nous, elle avait toujours été mise sur un piédestal. Alors que moi, je faisais pipi dans ma culotte parce que je n'osais pas lever la main, parce que je n'osais pas marcher jusqu'à la porte avec tous les yeux rivés sur moi. Ma cousine terrassait ceux qui copiaient mes réponses. Elle foudroyait ceux qui se moquaient de mes larmes. Elle me protégeait parce que j'étais son ombre."

15/01/2014

Quoi? L'Éternité (1988) de Marguerite Yourcenar

Cette année passée m'a lancé sur les femmes et leurs livres. Marguerite Yourcenar, ma grande découverte de 2013, une passion... J'ai commencé ses romans autobiographiques (trilogie comprenant d'abord Souvenirs pieux (1974) et Archives du Nord (1977)) en commençant étrangement par le dernier. Le titre me faisait sans doute rêver.


Passage choisi (partie du Trépied d'or) :
"Les dames qui arpentent cette plage d'avant-guerre ne prévoient rien de tel, et ne se disent pas non plus que les baleines qui dessinent leur taille et soutiennent leur col ont récemment fait partie de bêtes sorties de la mer. Des fumées s'exhalent des lèvres sous les moustaches et au dessus des barbes, polluant le bon air qu'on était venu chercher. Des baigneurs en caleçons rayés descendant jusqu'aux genoux, la poitrine couverte d'ancres, piquent une tête dans les vagues ou jouent au ballon. Des baigneuses entuniquées et culottées de laine bleu marine, pourvues jusqu'à mi-cuisse d'un chaste volant assorti, se font asperger par la marée montante et s'enfuient en criant, alourdies par l'eau et le sable amassés dans leurs fond de culottes. A l'heure où le flot recule épouvanté, les humbles et beaux chevaux traînent les loueurs de cabines roulantes vers la marée basse. A en juger par les emballages de papier d'argent et les papiers gras qui jonchent la plage à demi sèche, la vente des chocolats et des sandwichs doit édifier des fortunes."

Enfance (1983) de Nathalie Sarraute


Roman autobiographique, écrit à deux "voix", de l'ordre de l'introspection, du souvenir et de l'analyse. Mon premier roman de Nathalie Sarraute. Un coup de foudre.

Un passage que j'aime beaucoup, parmi tant d'autres:

"J'ai beau me recroqueviller, me rouler en boule, me dissimuler toute entière sous mes couvertures, la peur, une peur comme je ne me rappelle pas en avoir connue depuis, se glisse vers moi, s'infiltre... C'est de là qu'elle vient... je n'ai pas besoin de regarder, je sens qu'elle est là partout... elle donne à cette lumière cette teinte verdâtre... c'est elle, cette allée d'arbres pointus, rigides et sombres, aux troncs livides... elle est cette procession de fantômes revêtus de longues robes blanches qui s'avancent en file lugubre vers des dalles grises... elle vacille dans les flammes des grands cierges blafards qu'ils portent...elle s'épand tout autour, emplit ma chambre... Je voudrais m'échapper, mais je n'ai pas le courage de traverser l'espace imprégné d'elle, qui sépare mon lit de la porte."

10/12/2013

Les carnets de Jane Somers T.2 Si vieillesse pouvait (1984) de Doris Lessing

Une femme de cinquante ans, dont la carrière professionnelle est plus que réussie et qui a toujours sut se montrer en contrôle d'elle-même, tombe subitement amoureuse d'un inconnu et se retrouve responsable de sa nièce de 19 ans, errante telle une épave.

Un autre regard sur l'amour et le sens de la famille.

14/11/2013

Shosha (1978) d'Isaac Bashevis Singer

Je viens de lire mon premier Isaac Bashevis Singer dont ma mère m'a souvent parlé. Je suis tombée sur Shosha par hasard. Je cherchais un autre auteur... J'ai vu ce livre et je me suis dit "C'est le moment où jamais".

C'est un roman réaliste, drôle (par son humour noir) parfois et profondément touchant par son humanisme. Nous plongeons en plein ghetto juif de Varsovie, dans les années 1930. Tout y est, sans fioritures ni violons. Je n'ai pas pleuré. Mais j'y ai beaucoup pensé.

Voici un passage:
"Combien de femmes auras-tu? demanda Shosha
— En te comptant toi, mille.
— Tant que ça?
— Le roi Salomon avait mille femmes. c'est écrit dans le cantiques des cantiques.
— C'est permis?
— Les rois ont tous les droits.
— Si tu as mille femmes, tu n'auras plus de temps pour moi.
— Shoshele, pout toi, j'aurai toujours le temps. Tu siègeras près de moi sur le trône, et tu reposeras tes pieds sur un tabouret de topaze. Lorsque le Messie viendra, tous les Juifs monteront sur un nuage, et s'envoleront vers la Terre sainte. Les Gentils deviendront les esclaves des Juifs. Une fille de général te lavera les pieds.
— Oh! mais ça me chatouillera..."

Dans ce podcast, Alain Finkielkraut aborde l’œuvre d'Isaac Bashevis Singer avec émerveillement, admiration et enthousiasme. C'est en l'écoutant que je me suis rappelée que ma mère avait elle-même beaucoup aimé le lire.