Un essai existentialiste et féministe, paru en 1949.
Voici quelques passages intéressants:
“Ainsi, la passivité qui caractérisera
essentiellement la femme
«féminine» est un trait qui se développe en elle
dès ses premières
années. Mais il est faux de prétendre que c'est
là une donnée
biologique; en vérité, c'est un destin qui lui
est imposé par ses
éducateurs et par la société. L'immense chance
du garçon, c'est que sa
manière d'exister pour autrui l'encourage à se
poser pour soi. Il fait
l'apprentissage de son existence comme libre
mouvement vers le
monde; il rivalise de dureté et d'indépendance avec
les autres garçons,
il méprise les filles. Grimpant aux arbres, se
battant avec des
camarades, les affrontant dans des jeux
violents, il saisit son corps
comme un moyen de dominer la nature et un
instrument de combat; il
s'enorgueillit de ses muscles comme de son sexe;
à travers jeux,
sports, luttes, défis, épreuves, il trouve un
emploi équilibré de ses
forces; en même temps, il connaît les leçons
sévères de la violence; il
apprend à encaisser les coups, à mépriser la
douleur, à refuser les
larmes du premier âge. Il entreprend, il
invente, il ose.”
(p.30)
“On verra, plus loin, combien les rapports de la
mère à la fille sont
complexes: la fille est pour la mère à la fois
son double et une autre, à
la fois la mère la chérit impérieusement et elle
lui est hostile; elle
impose à l'enfant sa propre destinée: c'est une
manière de revendiquer
orgueilleusement sa féminité, et une manière
aussi de s'en venger.”
(p.32)
“Comme l'amoureuse, la mère s'enchante de se
sentir nécessaire; elle
est justifiée par les exigences auxquelles elle répond;
mais ce qui fait
la difficulté et la grandeur et l'amour
maternel, c'est qu'il n'implique
pas de réciprocité; la femme n'a pas en face
d'elle un homme, un
héros, un demi- dieu, mais une petite conscience
balbutiante, noyée
dans un corps fragile et contingent; l'enfant ne
détient aucune valeur, il
ne peut en conférer aucune; en face de lui la
femme demeure seule;
elle n'attend aucune récompense en échange de
ses dons, c'est à sa
propre liberté de les justifier. Cette
générosité mérite les louanges que
les hommes inlassablement lui décernent; mais la
mystification
commence quand la religion de la Maternité
proclame que toute mère
est exemplaire. Car le dévouement maternel peut
être vécu dans une
parfaite authenticité; mais, en fait, c'est
rarement le cas.
Ordinairement, la maternité est un étrange
compromis de narcissisme,
d'altruisme, de rêve, de sincérité, de mauvaise
foi, de dévouement, de
cynisme. Le grand danger que nos moeurs font
courir à l'enfant, c'est
que la mère à qui on le confie pieds et poings
liés est presque toujours
une femme insatisfaite: sexuellement elle est
frigide ou inassouvie;
socialement elle se sent inférieure à l'homme;
elle n'a pas de prise sur
le monde ni sur l'avenir; elle cherchera à compenser
à travers l'enfant
toutes ces frustrations; quand on a compris à
quel point la situation
actuelle de la femme lui rend difficile son
plein épanouissement,
combien de désirs, de révoltes, de prétentions,
de revendications
l'habitent sourdement, on s'effraie que des
enfants sans défense lui
soient abandonnés. Comme au temps où tour à tour
elle dorlotait et
torturait ses poupées, ses conduites sont
symboliques: mais ces
symboles deviennent pour l'enfant une âpre
réalité. Une mère qui
fouette son enfant ne bat pas seulement
l'enfant, en un sens elle ne le
bat pas du tout: elle se venge d'un homme, du
monde, ou d'elle-même;”
(p.376-377)
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