"L’été où Coleman me mit dans la confidence fut celui où, hasard
opportun, on éventa le secret de Bill Clinton jusque dans ses moindres
détails mortifiants, plus vrais que nature, l’effet-vérité et la mortification dus l’un comme l’autre à l’âpre
précision des faits. Une saison pareille, on n’en avait pas eu depuis la
découverte fortuite des photos de Miss Amérique dans un vieux numéro de
Penthouse : ces clichés du plus bel effet, qui la montraient nue à
quatre pattes et sur le dos, avaient contraint la jeune femme honteuse
et confuse à abdiquer pour devenir par la suite une pop star au succès
colossal. En Nouvelle-Angleterre, l’été 1998 s’est distingué par une
tiédeur, un ensoleillement délicieux, et au base-ball par un combat de
titans entre un dieu du home-run blanc et un dieu du home-run
café-au-lait. Mais en Amérique en général, ce fut l’été du marathon de
la tartuferie : le spectre du terrorisme, qui avait remplacé celui du
communisme comme menace majeure pour la sécurité du pays, laissait la
place au spectre de la turlutte ; un président des États-Unis,
quadragénaire plein de verdeur, et une de ses employées, une drôlesse de
vingt et un ans folle de lui, batifolant dans le bureau ovale comme
deux ados dans un parking, avaient rallumé la plus vieille passion
fédératrice de l’Amérique, son plaisir le plus dangereux peut-être, le
plus subversif historiquement : le vertige de l’indignation hypocrite.
Au Congrès, dans la presse, à la radio et à la télé, les enfoirés à la
vertu majuscule donnaient à qui mieux mieux des leçons de morale, dans
leur soif d’accuser, de censurer et de punir, tous possédés par cette
frénésie calculée que Hawthorne (dans les années 1860, j’aurais été pour
ainsi dire son voisin) avait déjà stigmatisée à l’aube de notre pays
comme le « génie de la persécution » ; tous mouraient d’envie
d’accomplir les rites de purification astringents – après quoi le
sénateur Lieberman pourraient enfin regarder la télévision en toute
quiétude avec sa petite fille de dix ans. Non, si vous n’avez pas connu
1998, vous ne savez pas ce que c’est que l’indignation vertueuse.
L’éditorialiste William F. Buckley, conservateur, écrit dans ses
colonnes : « Du temps, d’Abélard, on savait empêcher le coupable de
recommencer », insinuant par là que pour prévenir les répréhensibles
agissements du président (ce qu’il appelait ailleurs son « incontinence
charnelle ») la destitution, punition anodine, n’était pas le meilleur
remède : il aurait mieux valu appliquer le châtiment infligé au XVIIe
siècle par le couteau des sbires du chanoine Fulbert au chanoine
Abélard, son collègue coupable de lui avoir ravi sa nièce, la vierge
Héloïse, et de l’avoir épousé. La nostalgie nourrie par Buckley pour la
castration, juste rétribution de l’incontinence, ne s’assortissait pas,
telle la fatwa lancée par l’ayatollah Khomeiny contre Salman Rushdie,
d’une gratification financière propre à susciter les bonnes volontés.
Elle était néanmoins dictée, cette nostalgie, par un esprit tout aussi
impitoyable, et des idéaux non moins fanatiques."
Adapté au cinéma par Robert Benton en 2003, La Couleur du mensonge, avec Anthony Hopkins et Nicole Kidman.
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